Sous le ciel brumeux de Dhaka, dans un quartier vibrant aux ruelles étroites et aux maisons colorées, vivait Aisha, une jeune femme au regard rêveur. Fille d’un professeur de littérature et d’une artisane talentueuse, elle grandit entourée de livres et de soie, entre les mots des poètes et les fils des saris. Son monde était tissé de récits anciens et de légendes romantiques, et elle rêvait d’un amour digne des contes qu’elle lisait sous la lumière tamisée de sa chambre.
Par une douce soirée d’hiver, alors que la brise transportait le parfum du thé au gingembre, elle rencontra Rehan. Il n’était pas comme les autres jeunes hommes du quartier ; son esprit vagabondait entre l’art et la musique. Étudiant en architecture, il voyait le monde à travers des lignes et des formes, des courbes et des structures. Sa passion était de restaurer les vieilles bâtisses de Dhaka, de leur redonner vie comme s’il redessinait le passé pour le réconcilier avec le présent.
Leur première rencontre eut lieu à la librairie du vieux Kamal, un sanctuaire de savoir où le temps semblait suspendu. Aisha feuilletait un recueil de poèmes de Kazi Nazrul Islam lorsqu’un livre glissa de l’étagère, frôlant le bras de Rehan. En le ramassant, leurs doigts s’effleurèrent, et dans ce contact furtif, il y eut un frisson, un écho silencieux d’une promesse naissante.
Leurs échanges débutèrent timidement, au gré des rencontres fortuites dans la librairie ou lors des promenades au bord de la rivière Buriganga. Ils parlaient de tout : des vers de Tagore, de l’architecture moghole, de l’avenir incertain et des rêves qu’ils gardaient secrets. Chaque conversation les rapprochait un peu plus, comme si leurs âmes se retrouvaient après une longue errance.
Mais l’amour, dans une société attachée aux traditions, n’est jamais un chemin facile. Le père d’Aisha, bien qu’homme érudit, avait déjà prévu pour elle une union avec le fils d’un collègue respectable. Pour lui, l’amour devait venir après le mariage, pas avant. Aisha se retrouva prise entre son devoir filial et son cœur palpitant pour Rehan.
Rehan, quant à lui, refusa de laisser leur amour devenir une simple note dans un livre de regrets. Il alla voir le père d’Aisha avec respect, lui expliquant ses intentions sincères, son désir de bâtir un avenir avec elle, pierre après pierre, comme une maison qu’il construirait avec patience et amour. Mais les traditions pèsent plus lourd que les mots, et le refus fut sans appel.
Les jours suivants furent marqués par des larmes silencieuses et des regards échangés à distance. Aisha se sentait prise au piège, entre le poids des attentes familiales et l’ardeur de son amour. Pourtant, elle n’était pas une héroïne de tragédie, elle voulait écrire sa propre histoire.
Un soir, alors que le ciel s’illuminait sous la fête de Pohela Falgun, symbole du renouveau et de l’espoir, Aisha prit une décision audacieuse. Elle alla trouver son père et, avec une voix tremblante mais résolue, elle lui raconta sa propre histoire, celle qu’elle voulait vivre, celle où elle choisirait son amour, non par défi, mais par conviction.
Peut-être fut-ce la sincérité dans ses yeux, ou l’écho d’un amour que son père avait lui-même connu autrefois, mais quelque chose changea en lui. Après un long silence, il lui posa une seule question : "Es-tu certaine que c’est l’homme qui respectera ton âme autant que ton cœur ?" Avec une douceur infinie, Aisha répondit : "Oui."
Le mariage d’Aisha et Rehan eut lieu sous un ciel étoilé, dans une cour décorée de lanternes et de fleurs de shiuli. Ce n’était pas juste une union de deux cœurs, mais celle d’un amour qui avait bravé les traditions, non pas en les rejetant, mais en les redéfinissant.
Et dans les années qui suivirent, chaque fois qu’ils passaient devant la vieille librairie du quartier, ils souriaient en se souvenant que leur histoire avait commencé là, entre les pages d’un livre, s
ous les étoiles bienveillantes de Dhaka.

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